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LE CAS  DE 

L'ACTEUR SURDIMENSIONNÉ

PAR RICHARD GEHMAN

Ses activités pendant les quelques heures qu'il passe dans sa maison,

reflètent un souci véritable pour toutes les choses vivantes

Un jour en 1932, alors que Raymond Burr, maintenant l'étoile de la série de CBS Perry Mason, pêchait dehors près de Vallejo, Californie, il s'est aventuré dans le compartiment du bateau où il se trouvait. A bord, pour une raison inconnue, se trouvait un serpent à sonnettes : il l'a mordu au pied droit. Burr ne sait pas comment ce serpent est arrivé là mais ce dernier est ainsi devenu, dans la mesure où j'ai pu apprendre, le seul être vivant à détester Raymond Burr ; qui est une réfutation de l'adage qui veut que personne ne peut aimer un gros homme.  En fait, les motifs du serpent n'ont été jamais identifiés ; peut-être faisait-il seulement ce qui vient naturellement aux serpents, pas avec la méchanceté préméditée, et peut donc être classifié un cas extrême. S'il avait dû connaître Burr, il est plus que probable qu'il n'aurait pas agit ainsi et pourrait également vivre dans le zoo de Burr : sa maison sur les falaises au-delà de Malibu Beach, à 40 milles de Hollywood.

Le zoo et la maison sont des reflets des qualités qui caractérisent des personnes comme Burr. Il a un profond respect pour toutes les choses vivantes et un vif intérêt pour le bien-être de ceux qui demeurent auprès de lui. Pourtant, il fait attention à ne pas divulguer à n'importe qui les événements douloureux qui ont ponctué sa vie.

Le comportement habituel de Burr, s'il était mieux connu, embarrasserait la plupart d'entre nous qui ont été élevé dans le monde de la société moderne. Il s'est donné beaucoup de mal pour que l'on ne parle pas de lui, et quand j'ai appris à certaines personnes gravitant autour de lui des détails le concernant, j'ai vu des regards étonnés. Seuls quelques bons actes de Burr ont été connus...

Par exemple, peu de gens sur le plateau de Perry Mason savent ce qu'il a fait quand il a acheté sa maison il y a quatre ans. Elle était typique. L'endroit à l'origine avait appartenu à Mr. et Mrs. Sylvester Samuel Pierce, qui l'avaient construit eux-mêmes et avaient aménagé les jardins. Burr, qui vit en faisant des choses avec ses mains (il est un excellent jardinier et pourrait gagner sa vie en tant que chef dans un restaurant français ou chinois de premier ordre), a respecté le sentiment et l'art que Pierce avait mis dans sa propriété, refusant l'idée que le couple ne puisse pas revenir dans leur maison.

"Ray a cet étrange rapport avec ces gens," dit Gail Patrick Jackson, productrice exécutive de Perry Mason, "il agit comme s'il n'avait pas acheté la maison mais juste emprunté."

Pierce est mort il y a deux ans, mais Mrs. Yvette Pierce et sa soeur Mrs. Andrée Floyd, aussi une veuve, sont toujours les invitées plus ou moins constantes de la maison. Elles sont, en effet, la famille de Burr. Elles font la vaisselle, le ménage, et aident Burr à couper des oignons lorsqu'il fait la cuisine. En son absence, elles s'occupent des animaux : les deux chats, un siamois et un Himalayan ; les canards, les oies, les poulets et les chiens. Quand Burr décide de faire un certain changement dans la propriété, même s'il est aussi mineur que le déplacement d'un buisson de ketmie, il consulte Mrs. Pierce et présente son plan avec déférence.

Puisque Perry Mason exige tellement de son temps, Burr occupe maintenant sa maison seulement les week-ends. Pendant les six jours nécessaires pour filmer un épisode de la série, il doit se lever à 3:30 du matin pour commencer à répéter son texte. Approximativement 80 % des textes du script sont pour lui :  "nous avons par le passé calculer que je prononce 107 mots pendant que les autres en disent neuf." m'a-t-il dit récemment. Dès que la nuit du vendredi arrive, il se dirige immédiatement vers Malibu, habituellement dans une Jeep.

Le samedi et le dimanche, la maison est pleine d'amis, la plupart d'entre eux laissant Burr vaquer à ses occupations, un verre de Scotch à la main, visitant ses oiseaux et faisant le pitre avec ses animaux, retournant la terre autour de ses plantes et arbustes ou observant avec intérêt ses entrepreneurs effectuer des travaux de transformation. "Ray ne finira probablement jamais cette maison... " dit Andree Floyd.  

Entre deux corvées extérieures, Burr vient flâner dans sa cuisine : les deux dispositifs dominants sont un fourneau de huit brûleurs avec un four pouvant cuire 80 pains en une seule fournée, et une grande table pour 16 convives.

Comme le reste de la maison, la cuisine est décorée avec une partie de la collection d'art de Burr. Il se spécialise principalement dans les modernes américains, et il est récemment devenu associé dans une petite galerie de Beverly Hills.  "La difficulté avec cette entreprise," dit le neveu de Burr, Frank Vitti, "c'est que Ray est son meilleur client. Il n'aime pas vendre une peinture qu'il affectionne et, tôt ou tard, s'il est assez séduit, elle finit dans sa maison." 

Excepté la vue depuis la haute falaise sur laquelle sa maison est construite, il n'y a pas, pour les invités, de quoi "visionner" des images lorsqu'ils sont invités chez Burr : il ne possède aucun téléviseur et n'a aucune intention d'en acheter un. Ceci est peut être dû à son autocritique de son rôle de Perry Mason. Laslo Benedek, un des directeurs de la série, confesse qu'il est constamment stupéfié par la capacité de Burr à trouver de nouveaux moyens de dire "Objection, Votre Honneur" et autres clichés de tribunal que les auteurs des manuscrits doivent insérer continuellement dans ses textes. Burr lui-même méprise le fait que ces expressions standards doivent être prononcées. "Je trouve que l'on doit recourir à d'autres sortes de tours ou de dispositifs," m'a-t-il dit "je fais des choses pour cette série que je n'aurais jamais fait en tant qu'acteur. J'attire l'attention sur moi de manière à ne pas utiliser trop souvent ces fameux clichés."

William Hopper, qui joue le détective Paul Drake, réfute cette constatation. Il dit que Burr n'attire jamais délibérément l'attention sur lui. "C'est l'acteur le plus généreux que j'ai jamais connu. Si je dis mon texte de façon maladroite ou que j'ai des difficultés, Ray insistera sur le fait que mon texte doit être changé pour que je puisse le dire avec élégance. Il ne s'impose jamais vis-à-vis d'un autre acteur. Il sacrifiera une partie de son texte s'il estime que cela peut rendre le reste meilleur."

Pendant sa semaine sur les plateaux, Burr est prompt à éclater d'un rire Rabelaisien, mais il est également rapide à montrer sa profonde humanité. "Ray est le plus mauvais acteur d'Hollywood pour ce qui est de rapporter de l'argent... parce qu'il donne toujours chaque pièce qu'il a." me dit Mrs. Jackson. "Notre maquilleur, Irving Pringle, s'est soudainement évanoui à cause d'un ulcère hémorragique. Qui l'a transporté à l'hôpital ? Ray. Et il a passé toute la nuit avec lui."

À ceci, Bill Talman ajoute : "Combien de types laisseraient leurs maisons ouvertes à des réfugiés ? Il y a deux ans, quand il y a eu le grand feu de Malibu, Ray a insisté pour que ses voisins viennent se réfugier chez lui. Combien de types accueilleraient chez eux, chaque année, un groupe de nonnes d'une mission ? Ou prendre un congé d'une série épuisante pour faire deux représentations de ''The Happiest Millionaire" au bénéfice de ces mêmes nonnes ? C'est un homme qui a le coeur sur la main. Sa vie personnelle reflète son attachement total à servir son prochain."
"Un autre exemple," poursuit Talman, "Ray ne dira pas non. Il fait toujours ce qui lui est demandé. Il était malade, une laryngite, mais des scouts lui avaient demandé de faire un discours un week-end, alors il l'a fait, parce qu'il avait promis."

L'angoisse de Burr c'est de devoir dire un texte qui viole ses principes moraux et c'est peut être pour cette raison qu'il essaie de se détendre totalement quand il va à Malibu. Il s'assied en bout de comme un châtelain médiéval vigoureusement bienveillant, riant volontiers aux plaisanteries d'un invité ou se vautrant en arrière dans sa chaise, ses bras pendant mollement. J'ai rarement ri autant dans ma vie que lorsque j'ai passé une nuit de décembre avec Burr et Bill Talman -son antagoniste de la série  Perry Mason- lorsqu'ils m'ont raconté qu'un jour, Bill a sauté une ligne de son texte durant le tournage, ce qui a déclenché une série de ratages qui ont provoqué un retard de trois heures.

"Nous ne pourrions pas arrêter tout cela," me dit Talman. "J'ai soufflé une ligne qui a rendu tout le monde tellement hystérique qu'un électricien est pratiquement tombé du podium. L'acteur qui incarnait le juge est tombé en arrière et il s'est écoulé un long moment avant que quiconque ne soit en état pour aller voir s'il était blessé." 

Je ne peux malheureusement pas écrire ici la fameuse ligne en question... ce n'est pas le cas du menu que nous avons mangé ce soir là. Tout comme je n'ai jamais autant ri, je n'ai jamais aussi bien mangé. Burr nous a servi un superbe potage de tortue additionnée de xérès, une poule au pot avec des pignons de pin et des herbes, des champignons farçis ou foie gras et complétés avec des truffes, ainsi que des pois chiches cuits à la vapeur dans leurs cosses avec des châtaignes.

En décembre 1951, en Corée, Burr et son pilote ont volé de Séoul au nord vers les lignes de front pour rendre visite aux troupes en plein coeur des combats. Ils ont été pris dans une tempête de neige, sans aucune visibilité, et leur petit avion était dangereusement secoué. Alors ils ont été repérés par les batteries anti-aériennes qui ont aussitôt fait feu.

"Nous n'y arriverons jamais !" a crié le pilote.

 "Nous le ferons, je leur ai dit que je venais !" a hurlé Burr. Lorsque le pilote a atterrit, le nez de l'avion s'est enfoncé dans la berge d'une rivière. Burr, aussi calmement que Perry Mason dans un auditoire de tribunal, a rampé hors de l'épave et est allé rendre visite aux soldats.

Burr est un homme religieux. Il dit les grâces avant chaque repas ou demande à un ami de prier. Il va à l'église rarement, mais, comme l'un de ses amis l'a remarqué, si le culte de Dieu est la célébration de la vie et de l'attachement aux autres, Burr est dans une église chaque minute du jour. Ses grands yeux bleus sont solennels et contemplatifs et, comme le même ami a dit, d'une tristesse inexprimable. Il est difficile d'imaginer comment ils pourraient en être autrement, parce qu'il est également difficile de penser qu'un autre homme pourrait survivre à autant de tragédies personnelles.

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