A 3:55 A.M, l'aube ne s'est pas encore levée sur ce qui risquait d'être le jour le plus chaud de l'année à Los Angeles. Un visiteur a frappé discrètement à la porte de la loge de Raymond Burr, sur la vieille Fox Western Avenue (où Perry Mason est filmé), une loge construite à l'origine pour une petite fille nommé Shirley Temple.
La porte est ouverte par Paul Kennedy, un acteur New Yorkais de 24 ans, "en liberté" et agissant en tant que directeur provisoire de dialogue pour Burr, un titre de fantaisie pour un homme qui donne la réplique à un acteur dans les tourments de la mémorisation de son texte.
Le réveille-matin de Burr avait sonné à 3:30, comme chaque matin de tous les jours de la semaine. Il s'était brossé les dents, avait préparé un pot de café mis au chaud dans la cuisine. Il s'est maintenant étendu confortablement à travers un grand lit qui n'est pas encore fait. Sur le lit, à ses côtés, trônaient un manuscrit, un cendrier, un paquet des cigarettes et la première des nombreuses tasses de café qu'il consommerait pendant la journée.
La loge de Burr est réellement grande, c'est un appartement confortable se composant d'une combinaison salle-chambre à coucher, une grande salle de bain avec un cabinet en cèdre-rayé, une baignoire complètement modernisée, un foyer qui sert de bureau à son secrétaire, et une cuisine. C'est un endroit confortablement encombré dans lequel Burr vit pendant cinq jours chaque semaine.
L'agent de publicité de Burr s'est étendu sur le sofa, luttant pour garder ses yeux ouverts. "J'ai le drôle de sentiment," dit-il, "que nous sommes tous à la pêche à chaque minute."
Sur le lit, Burr a regardé fixement son manuscrit. "Bien," dit-il à Kennedy, "prenons la page 11." Kennedy lit les répliques. Burr, buttant un peu sur les mots, lit ses lignes, en regardant le plafond et en trichant de temps en temps pour jeter un coup d'oeil sur le manuscrit.
"Encore." dit-il. Ils répétent une deuxième fois.
"Une fois de plus." Même à 4:30 A.M, la voix a les intonations familières de Perry Mason.
Burr rit sous cape. "C'est drôle," dit-il, "nous avons un sponsor qui est un fabricant de cigarette cette saison et soudain, tous les manuscrits sont chargés de tabagisme."
Kennedy a mis un autre pot de café sur le fourneau. L'agent de publicité, qui a senti qu'il avait fait son devoir, part, vraisemblablement pour retourner à la maison où il va dormir quelques heures.
Burr a étudié son manuscrit dans un silence complet, brisant ce dernier de temps à autres pour échanger quelques lignes avec Kennedy ou pour parler aimblement avec son visiteur (le journaliste).
"J'ai probablement eu plus d'exposition à la TV en une année que n'importe quel acteur de son vivant," a-t-il commenté. "La saison passée nous avons fait 39 expositions. Cette année nous pouvons en faire seulement 31 parce que nous avons pris du retard. Cela prend 11 jours pour filmer un épisode de Mason, six jours de tournage plus le week-end plus des vacances et un jour de préparation. Cette année nous n'avons pas démarré avant le 1er Juillet. L'année prochaine, nous ne ferons que 26 épisodes. Pendant trois saisons, cela fait 96 épisodes, l'équivalent de 192 demis-heures. Une série d'une demi-heure devrait être programmée pendant cinq saisons avec 39 épisodes par saison pour nous devancer."
La nuit précédente, Burr avait travaillé sur le plateau jusqu'à 9 heures, pour aller dormir à 11 heures. "Tu dois te détendre un peu avant de pouvoir aller dormir. Je fais une moyenne de quatre à cinq heures de sommeil par nuit. Ce n'est pas assez, mais je suis un boeuf. Je peux le faire si je le dois. En fait," il grimace, " ma doublure, Lee Miller, dort pour moi."
A 5:45 Burr a jeté son manuscrit de côté et a disparu dans la salle de bains pour une douche et un rasage. Ceci fait, il met un jeans et une chemise noire de sport.
À 6:05 son secrétaire, Bill Swan, est arrivé. Cinq minutes plus tard, d'autres coups étaient frappés à la porte, livrant passage à Barbara Hale, la fidèle secrétaire de Perry Mason, chancelant sous le poids des sacs d'épicerie pour le petit déjeuner. Elle est habillée d'un jeans et d'un chandail lourd en laine ainsi que d'un chapeau.
"Je ne suis pas totalement éveillée," dit-elle d'une voix endormie, "et je ne vais probablement pas l'être de toute la journée."
À 6:30 le directeur de l'épisode, Gerd Oswald, est arrivé. Burr, Oswald et Barbara se sont installés à quatre pattes sur le plancher du salon, apportant des changements mineurs au manuscrit du jour.
A 6:50, le coiffeur Annabell Levy passe sa tête par la porte. Burr le salue en inclinant la tête. Lui et Barbara vont jusqu'à la salle de maquillage, garnie de chaque côté de chaises de coiffeur. Burr se retiré dans une pièce annexe avec le maquilleur Dick Hamiltoni. Barbara a mis sa tête sous un robinet et s'est lavée les cheveux.
L'atmosphère informelle et presque irréelle de ces heures matinales se transforme au fur et à mesure que la cadence devient plus rapide. Bethel Leslie, un autre acteur, s'est glissé dans une des chaises de coiffeur pour son maquillage.
À 7:25, Burr s'est levé de sa chaise de maquillage et est allé de nouveau à la salle de bains. Il s'est changé pour un costume de soie brun, puis a parlé du manuscrit avec Oswald tandis qu'Annabell Levy allait travailler à ses cheveux.
A 8:00 A.M., suivi par Bill Zacha, responsable de sa garde-robe, et de son visiteur, Burr a marché d'un pas vif vers le plateau n°8, à 45 mètres de là. Ses longues enjambées l'amènent sur place bien avant les autres.
À 8:05 Burr et Bethel Leslie se sont installés à une table. L'ensemble du décor présente la salle de détention d'une prison. Burr, l'avocat, parle avec son client. Tandis que les lumières sont ajustées, les deux hommes ont répétés leurs répliques.
8:20 la première répétition générale est terminée. Le directeur assistant Morris "Mushy" Harmel s'écrie, "Tout le monde en place! Silence sur le plateau, svp!" Ce serait son chant pour le reste de la journée.
À 8:30 Oswald dit : "Prenons-le." C'est une scène assez longue, tout un dialogue. Burr et Bethel font la première prise. "Bien," a dit Oswald. "C'est dans la boîte."
Cela a pris à l'équipe 35 minutes pour modifier les lumières pour un long passage de la même scène, qui inclurait également une suite du dialogue. Burr et Bethel ont préparé leurs nouvelles répliques dans un coin jusqu'à ce que l'équipe soit prête. Une fois de plus, ils font la scène en une seule prise.
À 9:09 l'équipe a bougé vers le décors désormais familier du bureau de Perry Mason. Oswald esquisse la scène avec Burr, Barbara et Bethel, à l'aide d'un petit viseur de caméra pour suivre l'action et pour visualiser les angles de la caméra dans son esprit. L'un des membres de l'équipe place des petites bandes de ruban sur le plancher pour marquer les diverses positions que les acteurs doivent prendre.
"OK," dit Oswald, "on y va." Les trois acteurs sont sortis de leur léthargie pour la scène une deuxième fois. "Bon." il a dit.
L'équipe se déplace avec ses lumières, les doublures ont remplacé les acteurs et Burr est allé de nouveau dans sa salle de bains pour revenir en costume gris. Avant de retourner sur le plateau, il dédicace une série de photos que Swan avait préparées pour lui, signe un certain nombre de chèques en blanc ("J'ai confiance en toi, William," a-t-il dit à Swan) et passe un appel téléphonique.
À 9:33 il est de retour sur le plateau. "Je suis fait pour être acteur," dit-il à son visiteur. "Je ne peux pas tenir en place pour qu'on me prenne en photo. Je ne regarde quasiment jamais la série : j'ai vu trois épisodes jusqu'ici. Parmis les 90 films que j'ai fait, j'ai regardé seulement quatre d'entre eux. Je ne peux pas m'arrêter. Si je pouvais me raser sans miroir, je le ferais."
A 10:00 l'équipe est prête et les éclairages sont allumés. Les acteurs ont préparé la scène, assez brève, quatre fois.
"En premier lieu," Burr a commencé sa réplique, "vous n'êtes pas responsable des torts* de votre mari." (*mot français utilisé par Raymond)
"Torts?" dit Bethel, ne comprenant pas le mot.
"Actes injustifiés pour lesquels des actions civiles peuvent être entamées."
Des lumières ont été rajustées et Oswald a réclamé une répétition.
"En premier lieu," répète Burr pour la cinquième fois, "vous n'êtes pas responsable des torts de votre mari."
"Torts?" dit Bethel pour la cinquième fois, ne comprenant toujours pas.
"Torts* aux fraises." répond Burr, pince sans rire. Bethel éclate de rire, Oswald grimace. (*le mot "torts" n'existe pas en anglais, Ray l'a utilisé car sa sonorité rappelle "tarts" qui signifie "tarte")
"Il est lancé," murmure Barbara, "ça va être une longue journée, les enfants."
Le modèle de tournage est le même jusqu'au déjeuner : arrêter la scène, succession des doublures pour régler l'éclairage, les acteurs principaux répétent, répétition en tenue avant la prise définitive. La plupart des scènes requièrent de une à trois prises. Celle-ci en a exigé huit.
Burr a eut une boisson non alcoolisée pour le déjeuner, le reste de l'heure de pause étant dépensée pour l'adaptation de nouveaux costumes. De retour sur le plateau à 13:30, le tournage continue sur le même modèle, incessant.
À 16 h:00 le casting et l'équipe commencent à traîner. Burr sert un café glacé à Barbara, profitant d'un moment d'inattention, mais elle était trop fatiguée pour réagir et il a finalement abandonné sa plaisanterie.
À 16:30 il s'est emmêlé exprès dans la bande de mesure du cameraman et se tient là, ressemblant à une maman à demi enveloppée d'un châle.
"Nous avons atteint l'étape idiote," dit Barbara.
A 20:40 la dernière prise du jour s'est déroulée sans accroc. "C'est emballé !" a crié Mushy, avec une acclamation faible mais soulagée de l'équipe. C'était le dernier jour de tournage de l'épisode, "The Case of Purple Woman," et ils l'avaient terminé sans devoir travailler un jour supplémentaire.
Dans un coin du plateau, des sandwichs et un gueuleton attendent l'équipe et le casting, il y a toujours un restaurant permanent employé par le show. Dans la plupart des séries, les stars font la fête à la fin de chaque saison ; mais Burr et Gail Patrick Jackson organisent un banquet à la fin de chaque épisode.
À 21:30, Burr s'excus et va de nouveau dans sa salle de bains, suivi de son visiteur maintenant très fatigué. Il prend une douche rapide, se rase et met un costume foncé. "C'était une bonne journée," dit-il "nous avons la meilleure équipe qui soit. Sans elle, nous n'irions nulle part."
Il est monté sur sa canadienne, garée devant la porte de sa loge. "Je suis en retard," s'excuse-t-il. "Je dois dîner avec quelques honorables visiteurs d'Angleterre. Demain Samedi. Je vais pouvoir dormir jusqu'à 10 heures à ma maison de la plage. Venez nous revoir. Franchement, je ne pensais pas que vous tiendriez sur la totalité de l'itinéraire."
Dan Jenkins